Alpine A 610
Raid Liberté
1992
Le Mur de Berlin qui tombait, entraînât dans sa chute celle
du bloc communiste. Le 9 novembre 1989 annonçait ainsi le retour de la liberté
dans une Europe divisée et meurtrie. Nombreuses furent les réactions
spontanées, en Allemagne et ailleurs, pour célébrer cet événement majeur. Parmi
ces célébrations, le Raid Liberté, en 1992, aurait sans doute remporté le prix
de l’originalité. L’idée, née de l’esprit du journaliste automobile Dominique
Pascal, consistait à tracer les sept lettres du mot « liberté » sur
près de 8 000 kilomètres, de Paris à Saint-Pétersbourg
Pour établir ce record, il manquait à Dominique Pascal
l’essentiel : un stylo. Grand amateur d’Alpine, il se tourna naturellement
vers Norbert Guillo, directeur du Centre Technique Alpine-Renault.
Immédiatement conquis par ce projet, Guillo décida de sponsoriser l’expédition
et de fournir à Dominique Pascal une Alpine A610 spécialement préparée.
Présentée en mars 1991, la petite dernière de la famille Alpine se voulait
une version améliorée de la très controversée Alpine GTA. Toujours propulsée
par le V6 PRV, mais développant cette fois 250 ch grâce à une cylindrée
augmentée à 3.0 litres et une suralimentation revue, l’A610 pouvait désormais
se vanter d’offrir des performances similaires aux Porsche Carrera 2 et Lotus
Esprit. Adoptant un style plus distingué que sa devancière et offrant un large
catalogue d’équipements, l’A610 visait le haut de gamme. Pour s’offrir celle
qui restera la plus performante des voitures françaises de production, il
fallait alors débourser pas moins de 395 000 francs…
L’Alpine A610 de l’expédition fut préparée en quelques
mois par le Centre Technique Alpine. Sa carrosserie, comme son habitacle, fut
décorée aux couleurs des pays traversés. Idée audacieuse, mais réalisation pour
le moins atypique, si ce n’est hasardeuse… Avec sa proue et ses flancs orange,
sa poupe turquoise, son capot et ses jantes bleu clair, son toit jaune et ses
rétroviseurs fuchsia, l’Alpine avait de quoi surprendre. À projet original,
style original…
Côté mécanique, le Centre Technique prépara le moteur aux
conditions du raid et rehaussa l’Alpine de 5 centimètres, afin de braver les
routes en terre et potentiellement enneigées de l’Europe de l’Est. Nombreuses
pièces de rechange furent également emportées dans le véhicule d’assistance,
une Jeep Cherokee conduite par Pascal Germain et Gilbert Potiron, mécanicien de
l’expédition.
Le départ fut donné à Paris le 16 octobre 1992, au pied
de la Statue de la Liberté, Pont de Grenelle. Dominique Pascal, accompagné du
photographe Christian Bedeï, pouvait alors commencer à « écrire »,
d’Ouest en Est, le mot de Paul Eluard. Pour tracer le « l », il
fallait rejoindre Arnhem, aux Pays-Bas, avant de redescendre vers Metz en
passant par Bruxelles, puis entamer le « i », dont le point fut tracé
au Nord de Francfort autour d’un rond-point idéalement positionné. L’écriture
du « b » emmena Dominique Pascal à Nuremberg, puis à Berlin, qui
devait impérativement figurer sur l’itinéraire. Après un passage par Prague, le
« e » et le « r » furent tracés en Pologne, et les deux
dernières lettres – accent aigu compris – sur les routes enneigées des pays
Baltes. Le 27 octobre, soit onze jours après le départ, la petite Alpine
atteignait enfin Saint-Pétersbourg, point final de l’expédition.
L’écriture complète du mot totalisa 7 579 kilomètres,
avalés en 114 heures de route, soit une moyenne de 67km/h. Un chiffre qui peut
sembler faible, mais que Dominique Pascal justifia par les fréquents contrôles
de police (parfois, il le reconnut, pour excès de vitesse) et les nombreux
passages de frontières. La voiture, pourtant sollicitée des heures sous des
conditions météorologiques difficiles, fut à la hauteur de l’événement, et
n’exigea l’intervention du véhicule d’assistance que deux fois, lorsqu’elle
creva juste devant la Porte de Brandebourg, à Berlin, puis lorsque son système
de suralimentation dut être adapté à la piètre qualité du carburant lituanien.
« Un vrai voyage d’agrément », conclut Dominique Pascal.
On pourra regretter que cet exploit n’ait pas eu
davantage de retentissement médiatique. L’originalité de l’idée, le record que
représente l’écriture d’un mot sur plusieurs milliers de kilomètres, ou encore
l’image d’une Alpine multicolore filant à travers la tristesse des villes
soviétiques auraient sûrement mérité que l’on se souvienne davantage du Raid
Liberté. Renault, de son côté, aurait pu s’en servir pour vanter la robustesse de
celle qui restera la dernière création du petit constructeur dieppois. Mais tel
fut le triste destin de l’Alpine A610 qui, malgré son potentiel, ne sut jamais
faire assez parler d’elle…
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